Sorti en Octobre 2012 au Japon,
Bravely Default a su dès son annonce attirer la curiosité des joueurs, enthousiasmés à l'idée d'une nouvelle licence Square Enix. Petite réussite commerciale dans son pays d'origine, il a donné lieu à des tests dithyrambiques de la part des joueurs imports. Un peu plus d'un an plus tard, le jeu sort enfin en Occident (dans sa version « For The Sequel », équivalent des versions « International » des Final Fantasy) , non sans avoir suscité de folles attentes. Sans surprise, le jeu est un succès critique (une très bonne moyenne de 85 sur Metacritic) et commercial (le jeu a dépassé les attentes de Square Enix, au point de
les inciter a revoir leur stratégie). C'est donc le cœur plein d'espoir que l'on se lance dans ce que certains décrivent comme un « retour à l'âge d'or des Final Fantasy ».
« Un plébiscite, ça se combat. »
- Pierre Mendès-France
L'un des aspects de
Bravely Default les plus mis en avant par les critiques est son système de combat, lequel se révèle être à la hauteur des attentes. Se basant sur du tour-par-tour « classique » dans la tradition des Final Fantasy de l'ère SNES/Playstation, le jeu s'appuie sur un système de classes/jobs, lesquelles récompensent la victoire contre un boss. La nouveauté ici étant de pouvoir associer à une classe principale une classe « complémentaire », offrant ainsi une infinité de combinaisons (24 jobs, faites le calcul). La grande liberté stratégique offerte par cette mécanique encourage le joueur à faire progresser le plus de classes possible, d'autant que la victoire contre un boss coriace dépend davantage de l'agencement intelligent des classes et de leurs compétences que des statistiques « pures et dures » obtenues par montée de niveau. A cela s'ajoute le système de « Brave », qui permet de sacrifier de un à trois tours pour effectuer plusieurs actions d'affilé. Aussi ingénieuse qu'originale, cette mécanique maintient le joueur concentré, lui imposant de gérer au mieux ses tours pour ne pas se retrouver en difficulté. Tout cet assemblage parfaitement huilé constitue le cœur de
Bravely Default, et sa plus grande force. On ajoutera que le jeu offre un confort optimal via ses différentes options : le joueur peut en effet à tout moment régler le niveau de difficulté, la vitesse ou la fréquence des combats, etc. selon ses préférences. En résulte un jeu largement personnalisable selon le niveau de chacun (les joueurs pressés ou débutant traverseront le jeu à toute vitesse en mode facile, les vieux de la vieille régleront le curseur de rencontres à 100 % en mode difficile.) Dans
Bravely Default, tout a été mis en place pour que chacun s'y retrouve, dans une volonté bienvenue de ne laisser personne sur la touche.
« L'art est le plus beau des mensonges »
- Claude Debussy
Cette volonté de séduire un large public se retrouve à certains égards dans la direction artistique du jeu, elle aussi quasi-unanimement saluée par la critique. Les villes et autres lieux-dits, sublimés par la 3D stéréoscopique, prouvent une fois de plus le talent immense d'Akihiko Yoshida, également à l'origine du design des principaux personnages. La réalisation des personnages secondaires (et des classes qui leurs sont associées) a été confiée à des artistes invités (notamment Atsushi Okobo, auteur du shônen « Soul Eater » pour SE, et Hideki Ishikawa, artiste ayant œuvré sur la série Megaman). Si leurs designs sont tous plutôt réussis individuellement, la rencontre entre des personnages qu'on croirait sortis de Final Fantasy IV et d'autres davantage typés shônen pour pré-adolescents prive le jeu de toute cohérence esthétique. On retrouve dans une moindre-mesure cet aspect un peu dilué dans la narration du jeu, qui alterne entre conflits géopolitiques et saynètes « à la » Tales of, où il est essentiellement question de nourriture. La trame du jeu, plutôt plate et molle, est relevée par la qualité de l'écriture (l'adaptation française étant par ailleurs très réussie), des personnages hauts en couleurs (on croise pêle-mêle un banquier sans scrupule, une idol-sucrerie et une petite fille psychopathe) et la musique de Revo, qui apporte à l'aventure le souffle épique qui lui manquait. Très classique et convenu, le scénario tend à s'étoffer à partir de la seconde partie de l'histoire, durant laquelle le jeu -sans en dire trop- révèle sa vraie nature.
« L'on fait plus souvent des trahisons par faiblesses, que par un dessein forcé de trahir »
- François de La Rochefoucauld
En effet, le twist principal du scénario correspond à l'instauration d'une nouvelle « dynamique » dans la progression, qui consiste à reproduire à l'identique, et ce quatre fois de suite, des actions effectuées lors de la première partie. Si lors de la première « répétition » le joueur se plie sans trop râler à l'exercice, il comprend rapidement qu'il n'aura pas d'autres choix que de refaire encore et encore les mêmes actions si il veut atteindre ce pour quoi il a passé des dizaines d'heures :
la véritable fin de
Bravely Default. Autant le dire tout de suite : ce choix de game-design constitue une aberration incompréhensible. Les ennemis rencontrés n'offrent pas de challenge particulier, et les nouveaux éléments scénaristiques, si ils apportent un peu d'épaisseur à l'univers, sont pour l'essentiel anecdotiques. Cette mécanique n'a pour seul « intérêt » que de rajouter artificiellement quelques dizaines d'heures à un jeu dont la durée de vie aurait été déjà plus qu'honorable sans ces ajouts honteux. Certains pourront arguer que ces phases répétées sont essentielles pour le bon déroulement de l'histoire. Peut-être. Mais on répondra que quand un choix scénaristique précède un choix de game-design, cela donne rarement quelque chose de bon. Et en ce sens,
Bravely Default est un cas d'école. Même la fameuse « vraie fin », particulièrement épique et réussie, ne parvient pas à effacer l'impression amer qu'on nous a sciemment fait perdre notre temps, jusqu'à nous dégoûter d'un jeu qui avait pourtant beaucoup pour lui.
« La fin ne justifie pas les moyens . Et encore moins dans Bravely Default.»
- Proverbe français revisité par Pika Surf
Lors de la mise en chantier de
Bravely Default : For The Sequel, Tomoya Asano et l'équipe de Silicon Studio ont demandé aux fans japonais leurs suggestions afin d'améliorer la première mouture.
Bravely Default ressemble à cela : un jeu qui cherche à se rendre populaire auprès de tous les fans de RPG, quitte à s'éparpiller un peu. On est d'ailleurs surpris que ne soit pas ressorti de ce sondage l'aberration que constituent les derniers chapitres du jeu, qui anéantissent en grande partie les espoirs placés en lui. On peut aussi s'interroger sur les raisons qui ont poussé les critiques à ne pas mettre en avant cet aspect pourtant essentiel. Sans persifler outre-mesure, on peut imaginer que la joie de retrouver une production Square Enix qui ne soit pas un dérivé de Final Fantasy ou de Dragon Quest et qui renoue pour partie avec le SE de la grande époque, a favorisé chez les critiques une certaine bienveillance. Espérons que Silicon Studio saura rectifier le tir au moment de transformer l'essai avec
Bravely Second (prévu pour cette année). Ou, dans le cas contraire, que les critiques sauront faire preuve de moins d'indulgence.
Les plus :
. Un système de combat qui frôle la perfection
. Un confort de jeu optimal via toutes les options
. Un bon travail d'écriture
. Une adaptation française de qualité
. Le thème
Wicked Flight et le boss qui lui est associé.
. Une direction artistique magnifique...
Les moins :
. ... mais qui manque d'unité et de cohérence.
.
Les scandaleux chapitres 5 à 8.
. Une histoire un peu plan-plan
. Des lourdeurs dans les dialogues
Verdict : Trois Dojo Étoiles. Merci à toi visiteur égaré qui a pris la peine de descendre jusqu'ici.