Qu'attendre de Jospin II ? POUR DE VRAIES RÉFORMES !
Le truc de la semaine dernière, c'était: «Au secours, les mitterrandiens reviennent !» Ce fut, comme toujours, «la ligne générale». L'air à la mode. Et, naturellement, l'entonnèrent comme un seul homme ceux qui doivent à ce Tonton-là d'être devenus, à leur tour, des princes de la République.
Il nous avait semblé, à nous, que c'était un certain Mitterrand qui avait fait Lionel Jospin secrétaire général du PS, puis ministre, Michel Rocard ministre puis Premier ministre à la longévité remarquable, qui avait inventé (politiquement) et promu Elisabeth Guigou, ouvert une voie royale devant Jacques Delors et sa fille Martine Aubry, modelé Hubert Védrine... Nous croyions même nous souvenir que Jacques Chirac et Edouard Balladur avaient été Premiers ministres de Mitterrand. Illusion d'optique sans doute...
De toute façon, on s'en fout ! Un nouveau pack gouvernemental a été constitué. Nous y sommes favorables, a priori et par principe, parce que, par principe et a priori, nous sommes favorables à toute équipe de France constituée de partis démocratiques dans le respect du suffrage universel. Elle serait de droite que ce serait pareil.
Nous jugeons après. Sur pièces.
Sur quoi ? Sur la capacité de ce gouvernement à réformer ? C'est l'autre refrain dans le vent. Tant mieux ! Nous n'avons cessé, pour notre compte, d'appeler à la réforme. Mais il faut s'entendre. Nous avons, par exemple, approuvé, en 1997, la décision de placer les allocations familiales sous conditions de ressources. C'était une vraie réforme. Alors pourquoi, avec l'approbation de la droite et des «médias réformistes», y a-t-on renoncé ? Résumons: instituer - enfin ! - un impôt direct unique frappant du même taux de progressivité toutes les formes de revenus, ce serait une vraie réforme ! Réorienter la fiscalité des entreprises de façon à favoriser les investissements créateurs d'emplois au détriment des opérations purement financières, ce serait une vraie réforme ! Remodeler nos structures administratives en faisant sauter l'échelon départemental qui est de trop et en accordant aux régions une maîtrise partielle de l'utilisation du produit de l'impôt, ce serait une vraie réforme ! Concevoir une législation antitrust capable à la fois de mettre fin à toutes les situations de monopole et de bloquer les concentrations, fusions et ententes attentatoires aux règles de la concurrence, c'est-à-dire aux principes libéraux, ce serait une vraie réforme. Accorder le droit de vote aux scrutins locaux aux immigrés intégrés à leur commune, démocratiser le mode d'élection des sénateurs, interdire le cumul des mandats, faire en sorte que l'on puisse faire de la politique sans être fonctionnaire (ou avocat, ou médecin), de façon que la composition sociale de nos parlements correspondent un peu à celle du pays (où sont les Blacks, où sont les Beurs ?), ce serait de vraies réformes ! Procéder à une simplification et à une rationalisation de notre orthographe kafkaïenne pour faciliter l'intégration culturelle des populations issues de l'immigration, ce serait une vraie réforme.
Mais qu'on arrête de considérer que le summum de la réforme consiste à fermer un hôpital, à supprimer une perception, à réduire le nombre d'emplois, à augmenter les cotisations retraite ou le nombre d'annuités nécessaire à leur obtention, à rogner les acquis sociaux ou à transformer les profs en animateurs de patronage. Ce sont là parfois, souvent même, des nécessités. Voire d'absolues nécessités. Mais ce ne sont pas des réformes.
On exige volontiers de ce gouvernement qu'il soit moderne, forcément moderne ! C'est à hurler de rire: Fabius serait l'archétype de la «modernité», alors qu'il fait (et ses amis aussi) de la politique exactement comme on en faisait il y a cinquante ans. C'est quoi, au juste, la modernité ? Soutenir systématiquement les nationalismes ethniques ? Bombarder la Yougoslavie et placer sous tutelle militaire le Kosovo, comme on le faisait à l'époque de l'impérialisme triomphant ? Reconstituer le communisme sur une base privatisée ? Exiger le retour au libéralisme du XIXe siècle ? Une blague !
Nous nous contenterons donc d'attendre du nouveau gouvernement qu'il mène, dans le cadre d'un projet audible, en fonction d'une dynamique mobilisatrice, et en vue d'une finalité clairement indiquée, une politique «juste», capable de combler le fossé qui se creuse entre le peuple réel et ses représentants.
C'est-à-dire ? D'abord, oser affronter les réformes énumérées plus haut, en particulier la réforme fiscale (les mesures annoncées par Jospin dans ce domaine sont pour l'instant consternantes), en allégeant en particulier le poids extravagant des prélèvements qui pèsent sur les classes moyennes. Ensuite, revaloriser le travail, tendre au plein-emploi et replacer l'aspiration à la sécurité (et pas seulement dans la rue) au coeur de la démarche républicaine. Et ce au moment où des propositions d'extension du champ de la précarité vont totalement en sens inverse. Enfin, non pas détruire un peu plus l'école, mais la refonder sur des bases assez solides et assez stables pour qu'il ne soit plus nécessaire de tout chambouler deux fois par an ; non pas casser, en la démonisant, la fonction publique, mais la redynamiser, dans l'intérêt de tous les citoyens usagers, en lui fixant, enfin, des objectifs précis.
Si le nouveau gouvernement allait dans ce sens, c'est Chirac qui serait content !
Lundi 03 Avril 2000 - 00:00
JEAN-FRANÇOIS KAHN